Quiriny – Les chevaliers du « iel », bilan d’une polémique
CHRONIQUE. Au-delà de la polémique, l’annonce de l’entrée de ce pronom non genré dans Le Robert offre un sacré coup de pub au dictionnaire.
Par Bernard Quiriny
L’annonce par le dictionnaire Robert de l’entrée dans sa prochaine édition (numérique) du pronom non genré « iel » aura fait couler cette semaine des torrents d’encre, et mis dans ce qui est habituellement un marronnier de la presse de novembre une agitation inaccoutumée. À présent que les esprits sont un peu calmés et que le sujet quitte peu à peu le devant de la scène, le moment est venu de faire un bilan de la polémique. Je crois qu’on peut tirer d’ores et déjà la conclusion qui s’impose : les gens du Robert savent y faire en matière de pub.
Quel coup de génie, quand même ! Avec trois lettres minuscules, ils sont parvenus à déclencher une tempête médiatique, à transformer la moitié des journalistes du pays en VRP de leur produit et même à impliquer deux ministres de la République dans la campagne promotionnelle ! C’est du grand art, et je ne peux m’empêcher de songer que tout a été machiné exprès. Comme ils doivent rigoler, à présent, dans leurs bureaux de l’avenue de France ! Peut-être même sont-ils surpris par l’étendue de leur succès ; il va falloir commencer dès à présent à réfléchir, s’ils veulent faire aussi bien l’an prochain.
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Cette théorie selon laquelle la consécration de « iel » était un hameçon pour appâter la presse est deux fois favorable à ses auteurs : elle fait d’eux des génies du commerce et de la pub, et elle les exonère de toute accointance avec les idées progressistes à la mode – écriture inclusive, fluidité du genre, non-binarité et tutti quanti. À la rigueur, les partisans de ces dernières devraient en vouloir au Robert, au lieu de le croire bêtement leur allié : en détournant leur cause dans un but mercantile, il l’abaisse et la souille. À moins que je ne me trompe, et que sa fracassante décision ne soit un acte militant plutôt qu’un coup de com. Le Robert a répété toute la semaine que son rôle n’était pas d’attribuer les bons et mauvais points mais de recueillir impartialement les mots apparus sur le marché pour éclairer la lanterne des lecteurs. Force est d’admettre que l’argument est faible : « iel » ne se rencontrant aujourd’hui que dans les cercles étroits de la littérature militante, l’urgence d’en faire connaître le sens à tous est douteuse. Sous prétexte de recueillir, n’a-t-on pas voulu répandre ?
Le comble du « iel »
Soucieux de ne pas être en retard sur mon temps, et de donner leur chance aux nouveautés, je me suis essayé ces derniers jours à caser « iel » un peu partout. Ça n’est pas facile. Comment accorde-t-on « iel est fatigué ou fatiguée » ? Surtout, on a peur de froisser ses interlocuteurs gender fluid avec ce bricolage qui réitère malencontreusement la priorité du masculin en mettant le i en premier. Pour un mot censé pulvériser les assignations traditionnelles, ça la fout mal. Je vais attendre l’édition 2023 du Robert avant de contracter de nouvelles habitudes ; tout ça n’est visiblement pas au point, des améliorations sont à venir.
En attendant, saluons le véritable mérite de « iel », qui est d’avoir inspiré aux chroniqueurs une tornade de jeux de mots, parfois excellents. Dans L’Obs : « Iel mon mari ! ». Dans Marianne : « Élisabeth Moreno coule une (b)iel » (la ministre a approuvé la décision du Robert et a rappelé par la même occasion qu’elle existait). J’ai pensé aussi à : « Le Robert fait ses études à iel ». « Le iel nous tombe sur la tête ». Etc. Bref, les ronchons façon Blanquer, qui sont montés sur leurs grands chevaux toute la semaine, ont eu tort : on ne blâme pas l’entrée dans le dictionnaire d’un mot quand elle provoque tant de bons mots.
Je n’avais pas réalisé avant de lire votre article que iel fait toujours passer le masculin avant le féminin ! Tempête dans un verre d’eau vide Cordialement. Françoise