Francophonie: la langue française comme «terre d’accueil»
La langue française se raconte à travers la voix d’auteurs dans un petit livre publié en partenariat avec l’Organisation internationale de la francophonie.
Avec 300 millions de locuteurs présents sur les cinq continents, le français figure à la cinquième place des langues les plus parlées dans le monde après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Molière peut être fier. Et plus encore Maryse Condé, Patrick Chamoiseau, Anna Moï, Amin Maalouf et tous ces grands auteurs qui «portent la langue française aujourd’hui, avec une foi et un enthousiasme qui n’est malheureusement pas toujours partagée par les intellectuels en France».
Dans un petit livre publié pour célébrer le 50e anniversaire de l’Organisation internationale de la francophonie, le prix Nobel de littérature 2008 Jean-Marie Gustave Le Clézio, à l’instar de Barbara Cassin, Dorcy Rugamba, Rithy Panh, Simon Njami et Fawzia Zouari, revient sur sa relation intime avec l’idiome. À travers ses souvenirs qui joignent la petite à la grande histoire, l’écrivain déclame son amour pour celle qui est «devenue plus qu’une langue (…) un lieu d’échange et de rencontre».
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En préface de Francophonie, Pour l’amour d’une langue (Nevicata, L’Ame des peuples), Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de la Francophonie rappelle d’abord ce que signifie ce mot en le définissant par ce qu’il n’est pas. La francophonie «n’est pas un pays» et elle «ne s’identifie pas non plus au passé de la France. Les empires anciens sont derrière nous, et le ‘passé trouble’ doit laisser place à une communauté de destins engagés dans l’indépendance des nations et la liberté des individus».
Il ne s’agit pas de le jeter aux oubliettes de l’histoire. Car, comme le note Le Clézio, «l’anglais, l’espagnol et le français sont devenues ce qu’elles sont grâce aux empires coloniaux. Si l’anglais est la première langue du commerce et de la communication, il ne le doit pas à Shakespeare ou à Dickens, il le doit à l’Inde, à l’Afrique, à l’Australie et à ses colonies d’Amérique.»
Une «langue refuge»
L’auteur belgo-rwandais Dorcy Rugamba le rappelle: «La langue est le produit de son histoire et des flux de populations.» Ce que constate l’écrivain franco-tunisienne Fawzia Zouari: «Hier, l’apprentissage du français était perçu comme libérateur. Aujourd’hui, il est présenté par certains comme une oppression.» Si, «les langues ne sont pas innocentes» comme le pense Le Clézio, alors, la question est celle-ci: qu’est-ce l’on veut en faire aujourd’hui? L’auteur avance: «La Francophonie, particulièrement dans son rôle de modérateur culturel, apporte sans doute une réponse à cette interrogation.»
Ainsi s’articule autour d’une question ce petit livre: la Francophonie a-t-elle une «âme»? Pour Louise Mushikiwabo, la langue française appartient «à tous ceux qui s’en réclament». Une vision que partage l’auteur franco-cambodgien Rithy Panh. Après avoir appris le français en chantant Brassens, Brel, Ferrat ou encore Ferré, il a fait de lui «sa langue refuge». Ni mur, ni frontière, le français est un pont, «une langue généreuse et ouverte sur les autres modes de pensée.»
Est-ce pour cela que l’helléniste Barbara Cassin a fait de la phrase «plus d’une langue» sa devise sur son épée d’académicienne. Interrogée sur la question de la traduction comme «verrou de la diffusion mondiale du savoir», l’auteur répond qu’elle est une hospitalité. «Traduire, c’est se mettre en position d’écoute et d’observation.» Ainsi, «traduire la langue française, et traduire en langue française, c’est lui rendre le plus beau, le plus solennel des hommages».
Le globish, «une défaite menaçante pour l’anglais»
De fait, comme le répète l’académicienne, il n’y a donc pas «le français, mais des français qui composent quelque chose comme la langue française». Ce que confirme l’écrivain et critique d’art camerounais Simon Njami: «Le français n’est pas un moule qui nous transforme en locuteurs sans capacité individuelle de jugement et d’opinion. Le français, au contraire, nous rend libre.» Ainsi, peut-il ajouter «je suis né dans le français», comme le disait déjà en substance un certain Albert Camus: «Ma patrie, c’est la langue française.»
Au fil des pages, ce sont des visions plurielles du français qui se dessinent. Barbara Cassin revient sur l’écriture inclusive, les traducteurs automatiques et le globish qui est «une défaite surtout menaçante pour l’anglais». De son côté, Fawzia Zouari s’en prend a «l’idéologie islamiste et les prêches dans les mosquées» qui minent le débat sur la Francophonie. Enfin, Simon Njami fait de Baudelaire «l’idéal de la langue et l’esprit français, à travers son dandysme qui est était une forme de rébellion».
Si la francophonie a une âme, elle en a le parfum de son temps. Le Clézio a la formule parfaite pour la qualifier. Laissons-lui le mot de la fin: «La langue française, vieille langue de mélange et de rencontre, grâce à tous ses locuteurs, où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, peut devenir une terre d’accueil et d’universalité.»
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