Rim Battal, poète d’un féminisme universel
En parlant de Melania Trump ou de Tanger, Rim Battal propose une poésie d’un nouveau genre, aussi puissante qu’accessible.
Doucement, sans que la chose ne fasse –encore– grand bruit dans le bouillon médiatique, la poésie française est en train de changer de visage.
De genre oublié dont les rares représentant·es auraient endormi les foules si foules il y avait, la poésie hexagonale pourrait bien redevenir une littérature qui compte, grâce à une jeune garde bien décidée à ancrer ses vers dans la réalité et le présent plutôt que dans une sorte d’éternité conceptuelle qui n’a finalement jamais lieu.
Changement de style
C’est ce retournement de table qu’incarnait en novembre 2018 l’attribution du prix Apollinaire à Cécile Coulon (alors âgée de 28 ans), provoquant un grand nombre de réactions hostiles au sein du petit milieu de la poésie.
Imaginez plutôt: l’écrivaine avait l’outrecuidance de faire de la poésie intime avec des vers si libres qu’ils se confondaient avec de la prose et qu’ils plaisaient à un public non habitué au genre.
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Rim Battal, poète franco-marocaine de 32 ans, incarne elle aussi ce renouveau. Son troisième et dernier ouvrage en date, Transport Commun, est l’exemple parfait du recueil à conseiller à quiconque voudrait laisser une deuxième chance à la poésie contemporaine française.
Pas de prose ici, quoique les vers de Rim Battal ne se fixent aucune limite. Formellement, Transport Commun est un recueil assez classique de poèmes courts, dont le formatage ne s’affole que brièvement dans les dernières pages.
L’ouvrage est divisé en chapitres thématiques tel que «Zone Franche», qui nous invite à «louvoyer» comme on «résiste» dans la ville de Tanger, au milieu de «femmes lourdement fardées» et «d’hommes balafrés».
Puis vient le chapitre «Sainte-Melania». Comprendre: Melania Trump, à propos de laquelle Rim Battal écrit qu’«entre les plis de son élégance se dessine une sainteté de playmate», avant de la laisser préparer un whisky empoisonné pour son président de mari –un chapitre surprenant et à la portée de tous les publics, avertis ou non.
La poète affirme avoir «de la tendresse pour Melania Trump». La première dame américaine, «hypersexualisée et utilisée pour porter quelqu’un d’autre au pouvoir, illustre la position de beaucoup de femmes», explique-t-elle. Une illustration sur le toit du monde que surligne la poésie de Rim Battal, comme une accroche maligne «pour parler d’autre chose».
Lecture participante
D’autre chose, et notamment de ce qu’elle appelle sa «thématique constante»: depuis son premier recueil, 20 poèmes et des poussières, la poète met en vers une féminité «exprimée avec force, jusqu’à la provocation», comme le dit son éditrice Catherine Tourné. Abordée de A à Z, cette féminité «réassocie les aspects sexuels et maternels du corps féminin», détaille Rim Battal.
Dans son œuvre, le fond est aussi contemporain que la forme, et les vers les plus fameux sont souvent les plus explicites. Son «discours» aux enjeux très actuels, elle fait le choix de l’exprimer par la poésie, «la plus libre des écritures» –le genre a pourtant beaucoup souffert de ce surplus de liberté, qui l’a enfermé dans une bulle élitiste éloignée du monde.
Ici, la liberté du poème est comprise autrement: elle implique celle du public. «J’aime ne pas avoir le dernier mot», confie la poète; elle souhaite que «celui qui lise participe au sens».
Inclusive, la formule semble fonctionner. Latex, son deuxième recueil, a été particulièrement remarqué par les poètes, maisons d’édition et autres acteurs du secteur. En mars 2019, Libération l’invitait même à écrire un poème pour l’édition annuelle du Libé des écrivains.
Pour Cécile Coulon, «depuis dix ans, personne en France n’a écrit de poèmes aussi sensuels, aiguisés et forts» que Rim Battal.
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Bâtardise commune
Il n’y a rien d’illogique à cette reconnaissance: la poète pense «en termes de grand public» et fait «toujours attention à la façon dont un poème peut être reçu», d’autant plus quand on sait que ce qu’elle apprécie particulièrement dans l’expression poétique, c’est la capacité spécifique du genre «à faire passer une idée pas encore complètement mûre, une idée embryonnaire» –une idée «complexe», dirait le mari d’une autre première dame.
L’idée, en l’occurrence, est celle d’un féminisme dont la radicalité ne rime pas avec extrémisme, mais avec exhaustivité. À moins qu’il ne s’agisse de l’idée, tout aussi essentielle, consistant à «se désapatrier», ainsi que leformule l’un des derniers poèmes du recueil, à «accepter sa bâtardise comme unique avenir commun»: un vers définitivement moins complexe que contemporain.
Transport commun de Rim Battal (Éditions Lanskine)
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