«On ne fait pas confiance à un employé qui fait des fautes d’orthographe»
INTERVIEW – Les fautes d’accord, de conjugaison ou de syntaxe peuvent coûter cher en entreprise. Aurore Ponsonnet, formatrice, auteur et ancienne orthophoniste, affirme qu’aujourd’hui, une orthographe non maîtrisée peut empêcher un employé d’évoluer professionnellement.
L’orthographe est un code. Un code dont les règles sont tortueuses, sournoises et difficiles à retenir. D’après le dernier baromètre du Projet Voltaire, établi sur les résultats en orthographe de plus de 100.000 Français, 52% des salariés connaissent les règles fondamentales. Les collégiens, eux, ne sont que 27% à les maîtriser.
Les entreprises manifestent leur inquiétude face à la baisse de niveau qui a des retombées économiques. Les fautes d’accord, de conjugaison ou de syntaxe peuvent coûter cher à un employé. Aurore Ponsonnet, formatrice, auteur et ancienne orthophoniste, explique au Figaro pourquoi le fait de faire de fautes d’orthographe pénalise un employé.
LE FIGARO -. La maîtrise de l’orthographe est-elle plus importante, en entreprise, qu’avant?
Aurore Ponsonnet -. Oui. Aujourd’hui, tout passe par l’écrit. Ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. Avant, on donnait des consignes à l’oral ou on téléphonait. Maintenant, à chaque fois qu’on parle à quelqu’un, on dit toujours «Envoyez-moi un mail de confirmation» ou «envoyez-moi tout ça par écrit». Parce qu’on veut laisser des traces et l’email donne cette possibilité.
J’ai formé des gens en entreprise qui n’avaient jamais écrit depuis leur arrivée et qui se sont se retrouvés avec un ordinateur, ordonnés de devoir maîtriser le mail ou Word. Prenez les commerciaux: avant, on postulait sur rendez-vous à l’oral. Les gens qui avaient un certain bagou étaient ceux qui savaient convaincre. «Toi, tu es fort pour parler, tu vas vendre, donc on te prend». Aujourd’hui, on leur demande d’écrire, et ce sont eux qui se trouvent face à leurs lacunes et difficultés.
Nous sommes dans l’époque de l’instantanéité. A-t-on le temps de se relire, comme avant?
Non. Il faut aussi comprendre qu’il y a des années, il y avait des secrétaires. À cette époque, l’email n’existait pas. Alors, l’émetteur écrivait un brouillon, se relisait, tapait son message qui passait ensuite entre les mains d’un secrétaire qui, par sa formation, avait un haut niveau d’orthographe. Et c’est seulement après ces étapes qu’on envoyait le courrier. On réfléchissait avant d’écrire. Combien de fois entendons-nous aujourd’hui «Envoyez-moi ce document dans la journée» ou même «dans l’heure»! La vitesse est l’ennemie de l’orthographe.
Quelle attitude un patron adopte-il envers un employé qui fait des fautes?
On ne fait pas confiance à un employé qui fait des fautes d’orthographe. Un patron aura tendance à ne plus lui confier de missions importantes comme l’envoi des courriers adressés aux clients. Pire, un patron peut décider de ne pas le faire évoluer professionnellement à cause de son problème d’orthographe. Je forme des personnes qui me disent: «Si je n’améliore pas mon niveau, je ne pourrai pas progresser dans ma boîte» ou «On m’a dit: ‘‘Si tu veux avoir ce poste, un poste de cadre par exemple, il faut que tu améliores ton orthographe, car c’est notre crédibilité qui est en jeu».
Y a-t-il un enjeu économique derrière l’exigence d’une orthographe maîtrisée?
Des études montrent qu’il y a des pertes de profit engendrées par les fautes d’orthographe. Par exemple, si vous allez sur un site d’achat en ligne et que vous voyez des fautes dans le descriptif, vous vous dites «Ils ne sont pas sérieux» et vous allez voir ailleurs. On peut faire le lien avec les spams que l’on reçoit: quand vous recevez un message de Free soi-disant, qui vous demande de «renseigné» votre numéro de carte, vous vous dites «Ah, il y a une faute d’orthographe, ce n’est pas normal. Ce n’est pas Free». Imaginez quand c’est un vrai commercial qui vous envoie ça!
Un CV criblé de fautes d’orthographe peut donc être instantanément mis de côté?
Il est évident que ça fait la différence. S’il y a 50 personnes qui postulent pour le même emploi et qui ont le même niveau, le même parcours, il est certain que celle qui maîtrise la langue française va être privilégiée. Même si le CV est moins bon, mais qu’il a un bon niveau en orthographe, c’est un gage de sérieux en plus, d’attention et d’intelligence. Un recruteur se dit «Quel que soit le poste, on doit pouvoir écrire correctement. Cette personne a des difficultés et donc, va être plus lente et il faudra la corriger». Plus largement, un patron peut se dire «Cette personne n’a même pas fait relire sa lettre de motivation. Elle n’est pas motivée!»
Et puis, il y a le patron qui est particulièrement sensible à l’orthographe et qui ne prendra pas du tout le candidat au sérieux ou pire, qui le trouvera idiot. La faute écrite engendre un a priori négatif. Surtout si la personne en question vise un poste à responsabilité. Là, la faute d’orthographe est rédhibitoire.
Y a-t-il des fautes particulièrement rédhibitoires?
Elles concernent surtout la grammaire et la conjugaison. «J’ai acheter», ça ne pardonne pas. Les accords simples doivent être maîtrisés: le fait de ne pas accorder un adjectif avec un nom est mal perçu. On considère que c’est la base du français. De même, si on oublie la marque du pluriel, comme le «s» à «plusieurs personnes», ça peut coûter cher.
Et puis, il y a des fautes plus subtiles comme le conditionnel «je serais» et le futur «je serai». Là, un recruteur peut se montrer plus indulgent. Il y a des fautes qu’il ne verra même pas comme «il faut qu’on se voit» au lieu de «se voie». Les adjectifs de couleur comme les «jupes oranges» qu’on devrait écrire «jupes orange» sans «s». Mais qui connaît cette règle? On doit être 10% à le savoir. Non, il faut vraiment connaître les règles les plus simples: accorder l’adjectif, maîtriser la conjugaison du présent.
L’importance accordée à l’orthographe peut-elle être stigmatisante?
Malheureusement, oui. La faute d’orthographe fait naître un préjugé qui ne colle pas au réel. Un recruteur intolérant peut se dire que quelqu’un qui ne sait pas écrire est bête, stupide. Or, j’ai rééduqué des dyslexiques et des dysorthographiques super intelligents. L’erreur est de croire qu’intelligence et dyslexie sont liées. La dyslexie est un trouble isolé, qui n’a rien à voir avec le manque d’intelligence. Or, beaucoup continuent de faire le lien. J’ai rencontré des personnes qui ont bac +5 ou +7 dont le niveau d’écriture ne traduit pas leurs hautes études.
La faute d’orthographe est-elle devenue un facteur de discrimination sociale?
Oui, l’orthographe est discriminante et élitiste. Certains n’hésitent pas à lancer sur les réseaux sociaux: «Quand on ne sait pas écrire, on se tait» ou «Achète-toi un Bescherelle». Mais ce qu’il faut saisir, c’est que l’orthographe et ses règles sont elles-mêmes critiquables. Le lien des Français avec l’orthographe est un peu maladif, pathologique. On se sent juges du niveau de l’orthographe des autres alors qu’elle est complexe et que pour la maîtriser, il faut faire des études sur ce domaine très spécifique.
Il y a des règles qui sont dingues et pour certaines, nées d’erreurs à l’origine. Le «x» à «bijoux», vient d’une erreur d’interprétation de textes écrits au Moyen Âge, par exemple. L’orthographe de certains mots est plus complexe que ce qu’elle aurait pu être («théâtre» en français, car le «th» est la trace de la lettre grecque «théta», tandis qu’on écrit «teatro» en espagnol et en italien).
Comment expliquer la baisse de niveau générale en orthographe?
L’orthographe étant complexe, il faut y passer des heures d’enseignement. Or, ces dernières années, l’école a complètement changé. Il y a quelque temps, les gens sortaient avec un certificat d’études avec un très bon niveau en orthographe. Mais alors, il y avait très peu de matières et les journées étaient consacrées à l’écrit: dictée, orthographe, grammaire. Maintenant, le nombre de matières a augmenté, nous avons voulu ouvrir les enfants sur le monde. Donc on a enlevé des heures d’études de l’orthographe pour se focaliser sur l’étude de textes, l’éducation civique, les exposés, le théâtre…
Mais on peut prendre le problème à l’envers: si la langue n’était pas aussi complexe, on ne serait pas obligé d’y passer 2800 heures. Les dictées sont un très bon outil mais il faudrait qu’elles ne soient pas notées, participatives, ludiques. Sinon, elles peuvent être décourageantes.
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