Silence, on triche !
Historique de la triche
Cette chronique pourrait commencer par le célèbre : « de tout temps, la triche a jalonné les parcours scolaires, difficile à éradiquer… ». On pourrait ainsi s’amuser à lister les techniques et stratagèmes pour se soustraire à l’apprentissage et vouloir malgré tout réussir l’interro qui nous attend. De Jules à Luc Ferry, les tricheurs n’ont jamais manqué d’imagination et ont même inspiré des scénaristes et des films comme Les sous-doués passent le bac. Qui n’a pas ri en famille à toutes ces blagues, plus ou moins loufoques, plus ou moins crédibles ? Comme si la triche était un sport national.
Je mentirais si je disais connaître ce qui se passe dans les autres pays. Je n’imagine pas les gens de tous les continents tricher ainsi, peut-être aussi parce que l’enjeu est moindre ailleurs. N’oublions pas qu’en France, vous êtes ce que vous êtes au moment de votre diplôme, sinon, tôt ou tard, votre passé vous rattrape. J’ai en tête, pour illustrer ce propos, que la marquise de Pompadour, qui avait pourtant été anoblie par Louis XIV est restée, aux yeux du peuple de France, la Poisson, de son nom de jeune fille. Alors que pour les anglo-saxons, pour ne citer qu’eux, vous êtes ce que vous valez à l’instant t. En outre, j’ai quand même l’impression que dans l’hexagone, on a une certaine admiration, coupable certes, pour ce qui osent « le faire ». Nous avons tous au moins une fois vu un camarade « pomper » et nous ne l’avons pas dénoncé. À quoi bon, l’école méritocratique saura faire le tri tôt ou tard et le fraudeur se fera prendre… ou pas, avec la certitude qu’un jour ou l’autre cela le desservira. Un peu comme ces fraudeurs fiscaux qui louvoient avec l’administration fiscale, s’en vantant auprès de leur entourage comme un fait glorieux et arrivent à tirer leur épingle du jeu et ce, malgré les « big data » qui croisent et recroisent tout un tas de déclarations. Même si l’étau informatique resserre les mailles, les petits filous se glissent dans les recoins…
À malin, malin et demi
Mais revenons à notre triche scolaire, triviale, facile à identifier dès que l’on a la copie, plus difficile à prendre en flagrant délit. Et même lorsqu’un élève est pris en flagrant délit, qui plus est pour un examen national, ce qu’il advient par la suite nous est aussi inconnu que ce qu’il peut y avoir sur la Lune pour reprendre l’expression proustienne. Et je ne parle pas de tous les cas non déclarés, parce que la procédure est lourde, qu’il faut faire un rapport, et que le surveillant se sent puni d’avoir toute cette besogne supplémentaire, quand le malin, sans vergogne, devine qu’il échappera à la sanction faute de je ne sais quoi. Je crois d’ailleurs que le sujet est plus ou moins tabou.
Alors le prof, lui aussi ruse. Sujet A, puis sujet B, QCM avec réponses dans un ordre aléatoire générées algorithmiquement…les ripostes sont là, mais elles demandent tant de temps et d’énergie qu’elles rebutent quelquefois les enseignants. En outre, former de futurs citoyens, c’est aussi leur apprendre l’honnêteté intellectuelle, le sens du devoir, le goût de l’effort, du mérite. Pourquoi ce qui est évident sur un court de tennis ne l’est plus dans une salle de classe ? Le prof a envie de faire confiance à ses élèves, c’est le contrat tacite qui le lie à eux. Aussi, quand un élève va voir un prof en lui disant : « Madame, vous ne m’avez pas rendu ma copie », immédiatement l’enseignante culpabilise. Il ne lui vient même pas à l’idée que le roublard ne la lui a pas rendue et la fait culpabiliser alors qu’elle n’y est pour rien. Du coup, consciencieuse, au devoir suivant elle fait émarger tout le monde pour être sûre qu’elle fait son travail rigoureusement. Car au fond, elle sait qu’elle n’a pas égaré la copie. Tout un paquet, oui, elle aurait pu le perdre : mais une copie, ça jamais, parce qu’elle gère son « paquet » comme une unité, un monolithe inséparable.
Triche technologique
La nouvelle arme de triche, de moins en moins nouvelle il est vrai, est bien sûr le téléphone portable, la montre connectée et demain, la tablette que l’on fera entrer dans tous les établissements. On dénonce régulièrement les dégâts des écrans sur notre jeunesse : perte de sommeil, addiction, plus d’activités physiques et la liste n’est pas exhaustive. Et là, j’avoue que ça me fait penser au slogan stupide « fumer tue » que je vois sur tous les paquets de cigarettes, message mélangeant bonne conscience, couverture juridique, hypocrisie ? D’autant que tous ces objets sont privés, et que, même en temps réel, il faudra sans doute sous peu une commission rogatoire pour les confisquer si le besoin s’en faisaient ressentir. Vivre avec son temps, c’est savoir utiliser les objets et ne pas se faire utiliser par eux.
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