Léopoldine HH, sans tresse ni mode d’emploi
Léopoldine a tombé la tresse pour nous accorder une rencontre dans la salle de restaurant du Bijou, entre les deux concerts qu’elle y donnait pour Détours de chant. Juste avant les balances du deuxième soir… et pendant la tétée de son fils de deux mois.
La jeune femme est radieuse, son grand sourire illumine son visage, malgré le rythme effréné d’une artiste en tournée nouvellement maman. Les lunettes en plus, la tresse en moins, la chanteuse-comédienne a accepté de dévoiler les dessous du trio Léopoldine HH, même si, finalement, après avoir vu le concert la veille, on préférerait presque ne rien savoir des ficelles de ce numéro, pour en garder uniquement la magie surréaliste qui s’en dégage. Mais comme elle est là, et tout à fait disposée à papoter malgré le petit Yaouën pendu à son sein, on en profite.
Léopoldine HH : au jeu inévitable des comparaisons, à tous les coups on perd. Univers absurde à la Philippe Katerine ? Pas tout à fait. Fausse innocente comme Giédré ? A part les cheveux blonds, rien en commun. Rebelle et dissonante comme Brigitte Fontaine ? Ce n’est pas ça non plus. Léopoldine et ses garçons ont véritablement ouvert une brèche, dans laquelle plus aucun repère ne tient. Le morceau Blumen im Topf, avec lequel elle débute le concert – et titre de l’album -, pose les bases : tu ne vas rien comprendre, et c’est normal.
Le spectacle s’ouvre avec Léopoldine fredonnant “ Ne me demande pas ce que j’ai dans la tête, si tu ouvres un bouquin, tu me trouveras page sept “. Le livre dont elle parle n’a pas de titre. C’est le grand recueil de ses textes fondateurs, ses livres de chevet, ses comptines d’enfance alsacienne et ses poètes personnels. Des textes dans lesquels elle puise à l’envie pour composer ses morceaux. Car non, elle n’écrit pas ses propres chansons. “Je n’oserai jamais ! “ avoue-t-elle. Oui-oui, c’est bien la grande gamine qui fait du hula hoop en maillot de bain rose sur scène qui le dit. Léopoldine serait-elle au fond…pudique ? “Le clown, c’est une manière de se protéger”. Emprunter les textes des autres, elle le reconnaît volontiers, lui permet de ne pas se livrer entièrement. “Ça me ferait trop peur d’écrire. J’aurais peur d’être débordée, dépassée… Quand tu crées, il y a tout le temps un moment où ta création te dépasse.” On aimerait bien voir ce que ça donne quand même…
C’est que le concert qu’elle a donné la veille nous a mis l’eau à la bouche. Une déferlante de drôles de mots, d’onomatopées, de fleurs en couleurs, d’accessoires improbables, et de sons bizarroïdes, pour ce cabaret-récital loufoque qui n’a pas vraiment de nom mais ne respire pas le n’importe quoi pour autant. “Autrefois, il fallait absolument rentrer dans une case, et c’était vu comme négatif de ne pas correspondre à tel ou tel style. Aujourd’hui, on peut vraiment faire ce qu’on veut “, reconnaît la chanteuse-comédienne. Et elle en profite largement avec son projet Léopoldine HH. C’est aussi presque un luxe qu’elle se permet, entourée de ses deux acolytes, Max et Charly. Parce qu’ils n’ambitionnent pas de faire carrière dans la chanson, parce que ce n’est pas la musique qui les “ fait manger “, mais le théâtre, leur métier premier, le trio respire la fraîcheur et l’insouciance. Oui, on a le droit de chanter à gorge déployée des phrases qui ne veulent rien dire, oui, on a le droit de citer Tchouang Tseu sur des beats électro, oui, on a le droit d’utiliser des vocodeurs juste pour rigoler, oui, on a le droit de ne pas savoir ce qu’il va se passer après la fin du morceau. “ Les gens me demandent souvent si telle chose qui est arrivée pendant le concert était prévue ou non. J’ai à chaque fois envie de leur répondre que rien n’était prévu ! “ Les trois chanteurs se révèlent avant tout des improvisateurs hors pair. C’est sans doute en partie cette spontanéité-là qui leur a permis de remporter le prix Moustaki en 2016. Une sacrée surprise pour eux, qui se sentaient, comme l’explique Max, le papa de Yaouën qui nous a rejoints pour l’interview, “ un peu comme des imposteurs “. “On s’est dit “non mais est-ce que le jury a bien vu ce qu’on faisait ? “, rigole Léopoldine.
Impertinence sans provocation, Léo, Max et Charly jouent et se jouent du public qui ne sait plus s’il doit rire ou s’émouvoir. On passe de textes quasi-métaphysiques qui convoquent infini et totalité à des chansons enfantines, des envolées lyriques où la chanteuse se prendrait presque pour une cantatrice, et des sessions électro de deux “ geeks de guitare”, comme les appelle Léopoldine. “Ils se font plaisir à inventer des sons bizarres. Moi, à un moment du spectacle, je m’en vais et je les laisse faire ce qu’ils veulent. Et parfois, ça dure super longtemps…“
On s’inquiète un peu de l’avenir du trio : après une telle profusion d’idées, de surprises, une telle créativité, le soufflet ne peut-il pas que retomber ? Visiblement, on est bien les seuls à s’en préoccuper. Les trois comédiens ont de beaux projets de théâtre devant eux, comme la création d’un spectacle à partir des textes de Gérard Manset. Un deuxième album sous le nom de Léopoldine HH ? Possible, mais pas nécessaire. On verra bien. La chanteuse ne cache pas son attrait pour le jeune public. “Quand j’entends ce que parfois on fait écouter aux gamins, ça me donne envie de faire quelque chose ! “ La grande enfant qui s’éclate sur scène, son “terrain de jeu “, a d’ores et déjà travaillé avec des scolaires, notamment pour l’enregistrement de son album. Pourquoi pas un disque entier ? On lui souhaite, et on nous le souhaite de tout cœur, même si, quels que soient la qualité de ses compositions originales et son talent pour faire vivre les textes d’auteurs, Léopoldine est à découvrir impérativement sur scène, et pas en écoutant son disque à la maison.
Quant à Yaouën, il a terminé son goûter. Il est un peu tôt encore pour lui pour apprécier à sa juste valeur les chansons de ses parents. C’est pour lui l’heure de la sieste, et pour nous, l’heure de laisser les comédiens retrouver les chapeaux à plumes et robes improbables.
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