Nouailhac – La France devient-elle une terre d’émigration ?
Selon l’Insee, les chiffres sont formels, la population française aurait dû compter 90 000 habitants de plus en 2015. Exode fiscal ou social, ou les deux ?
Par Jean Nouailhac Publié le | Le Point.fr

C’est un hiatus un peu inquiétant, apparu dans la dernière publication de l’Insee portant sur la démographie française. L’institut constate un très faible et anormal accroissement démographique dans le pays : seulement 168 000 habitants au lieu des 258 000 prévus pour l’année 2015, soit un trou de 90 000 personnes (64,468 millions d’habitants recensés au lieu des 64,558 millions escomptés). Une telle amplitude ne se serait pas produite depuis des décennies et il s’agirait d’un « déficit migratoire » inédit avec ses « indicateurs fortement orientés à la baisse en 2015 », selon le géographe Laurent Chalard, de l’European Centre for International Affairs (ECIA) de Bruxelles, qui a confié son analyse à FigaroVox.
Laurent Chalard, dans son étude, commence par soulever, pour la bonne règle et avant de les écarter, deux hypothèses de « biais statistiques », qui auraient pu survenir à cause d’une part « d’une mauvaise qualité de la collecte des données du recensement », ou d’autre part de la méthode de recensement « complexe » et « unique au monde » de l’Insee. Puis il en vient à l’hypothèse principale la plus sérieuse et la plus évidente, celle d’une « réalité consécutive à une année catastrophique sur le plan sécuritaire, avec sa succession d’attentats, dans un contexte global de déprime nationale, qui aurait pu être à l’origine d’une accentuation des départs du territoire national et/ou d’un ralentissement des arrivées ».
Une rupture historique
Ayant constaté que les permis de séjour délivrés à des étrangers en 2015, en pleine crise des réfugiés syriens, ne s’étaient pas réduits, il en a conclu qu’il devait donc s’agir d’un « déficit migratoire accentué pour les nationaux, de plus en plus nombreux à quitter le pays et/ou de moins en moins nombreux à y revenir ». Laurent Chalard ajoute que ce « solde migratoire négatif […] témoignerait d’une perte d’attractivité considérable de notre pays pour ses propres concitoyens, d’autant que ces départs concernent, en règle générale, des populations plus diplômées que la moyenne et/ou plus argentées ». Et de conclure : « Ce serait une rupture historique, la France étant une terre d’immigration depuis le XIXe siècle et non une terre d’émigration. »
Or, nous savons par ailleurs, selon une étude du cabinet de conseil britannique New World Wealth (NWW), spécialisé dans l’analyse de la croissance mondiale et de la mesure des flux migratoires, présentés en chiffres arrondis, des personnes physiques fortunées à travers le monde, que 10 000 « millionnaires » français ont quitté l’Hexagone pendant cette même année 2015, plaçant ainsi la France en tête du classement mondial des citoyens fortunés à avoir opté pour un exil volontaire, devant la Chine (9 000), l’Italie (6 000) et l’Inde (4 000).
Premier exportateur mondial de millionnaires
La destination des Français, par ordre d’importance : Royaume-Uni, Canada, Australie, États-Unis et Israël. Par « millionnaires », NWW entend ceux qui détiennent un patrimoine d’au moins 1 million de dollars US en plus de la pleine propriété de leur résidence principale. Notre pays était ainsi devenu pour la première fois de son histoire récente le premier exportateur mondial de millionnaires !
New World Wealth, un an plus tard, avait publié son palmarès de l’année suivante, et la France avait conservé sa place pour l’année 2016, aggravant même son score avec une augmentation de 20 % de ses millionnaires expatriés (12 000), devant la Chine (9 000) et le Brésil (8 000). Autrement dit, le solde migratoire négatif de 90 000 habitants constaté par l’Insee en 2015 et l’exil de 10 000 millionnaires pendant la même période selon NWW apparaissent bien comme deux éléments d’un même problème : la « perte d’attractivité considérable de notre pays », relevée par Laurent Chalard, et une émigration massive historique, dont tout laisse à penser qu’elle sera confirmée en 2016, et sans doute aggravée.
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