Pour Amélie Nothomb, « les intellectuels sont des gens nuisibles »

Pour Amélie Nothomb, "les intellectuels sont des gens nuisibles"
Amélie Nothomb « se soucie moins de valoriser son propre personnage que de creuser ses héros ». (Andreu Dalmau/EFE/SIPA)

En plus de publier un roman, la dame au chapeau surjoue, dans un livre d’entretiens, le rôle de pythonisse excentrique qu’elle répète ad libitum depuis 25 ans.

 

Epicène porte un prénom sans sexe, mais c’est une fille. Elle a une mère, Dominique, qu’elle adore, et un père, Claude, qu’elle déteste et qui le lui rend bien. Dans cette famille épicène, la vengeance est un plat qui se mange froid. Bon. Comme l’adjectif, dont la forme ne varie pas selon le genre, la littérature d’Amélie Nothomb est immuable. Elle est aussi annuelle qu’une rente, courte sur pattes, très champagnisée, trop maquillée, et toujours décevante. C’est de la littérature de pince-fesses.

Si on a cessé d’attendre d’elle un roman de plus de 150 pages – la brièveté est en effet son style –, on voudrait qu’elle aille un jour au bout de sa cruauté, de sa perversité, de sa mordacité. Et qu’elle se soucie moins de valoriser son propre personnage que de creuser ses héros. La preuve: en même temps que son 27e opus, «les Prénoms épicènes» (Albin Michel, 17,50 euros), Amélie Nothomb publie «la Bouche des carpes» (L’Archipel, 16 euros), recueil d’entretiens accordés à son compatriote belge Michel Robert.

Une coupe à la main, elle y surjoue le rôle de pythonisse excentrique que, depuis vingt-cinq ans, elle répète ad libitum sur la scène du Musée Grévin. Elle confesse donc son «obsession pour le répugnant», explique comment, pour bien vomir chaque matin, il faut ingurgiter «un thé horriblement fort», rappelle sa passion des fruits pourris – surtout les bananes –, se contente de deux heures de sommeil, se flatte d’écrire chaque année «3,7 manuscrits» et 1.600 lettres à ses fans.

Perfidies

Inconsolable de n’avoir pas été le Christ, elle se dit douée pour le pardon («On peut ne pas aimer mes livres et bien s’entendre avec moi»), mais est aussi capable de perfidies. Elle juge ainsi le romancier Sollers «illisible» et compare Bernard-Henri Lévy à «un cheval de cirque». D’ailleurs, tous les intellectuels sont «stériles et nuisibles». Et quand on lui demande des explications, Amélie Nothomb lâche, avec le plus grand sérieux, cette énormité:

Non seulement les intellectuels sont stériles, mais – et c’est plus grave encore – je pense que ce sont des gens nuisibles. (…) Souvent le fait que des génocides deviennent possibles dans certaines contrées me semble être favorisé par le fait qu’il existe des intellectuels. (…) Ils sont très largement responsables de ce qu’ils dénoncent. »

 
On frémit. Quelques pages plus loin, la romancière d’«Hygiène de l’assassin» conseille aux gens très malheureux, qui rendent les autres malheureux, de «mettre immédiatement fin à leurs jours!». On voit que, stupeur et tremblements, la causeuse a moins de scrupules et plus de malignité que la romancière. Son champagne est amer.

Jérôme Garcin

Les Prénoms épicènes,
par Amélie Nothomb,
Albin Michel, 162 p., 17,50 euros.

La Bouche des carpes,
entretiens avec Michel Robert,
L’Archipel, 168 p., 16 euros