Le jour où je jetterai tous mes cours
TOUT REPRENDRE À ZÉRO ?
Le jour où je jetterai tous mes cours, la formule m’est venue alors que je vagabondais, vacancier pieds nus sur la plage. Même si on sait parfaitement en profiter, les congés pour les profs restent des parenthèses sans élèves où mûrissent les projets et l’introspection. Entre conseils, orientation concertée, projet d’établissement, préparation des exams ou sorties, le rythme de l’année scolaire bat son plein au printemps et on fait le job sans pouvoir toujours soigner nos séances comme on le voudrait.
Évidemment, une rengaine populaire dira que les profs ressortent toujours du tiroir les mêmes cours. Qu’après un début de carrière besogneux où l’on construit patiemment ses séances et l’on échafaude sa pédagogie, il y a le temps où l’on peut laisser couler en reproduisant d’année en année les mêmes activités et le même discours.
LE CHEMIN QU’IL RESTE À PARCOURIR
Bien sûr, la majorité des enseignants trouvent un point d’équilibre entre remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier et remettre inlassablement le même couvert. On garde ce qui marche, les valeurs sûres, les cours, les approches où l’on sent que ça passe. On retouche ce qui doit être amélioré, on recommence la séance qui fait flop. D’ailleurs, les élèves sont là pour rappeler à ceux qui voudraient garder indéfiniment leurs fiches bristol à l’encre délavée qu’enseigner c’est bouger, oser, s’adapter à de nouvelles exigences, supports et défis. Pour rester en mouvement, je me fixe toujours pendant les vacances d’été des objectifs à destination des élèves mais aussi pour moi. Cette année, j’avais en ligne de mire personnelle le PPCR, le passage du CAFFA (la certification pour devenir formateur académique), la réalisation d’un projet de classe LABoratoire au collège, l’expérimentation d’un collège sans notes, de la classe mutuelle et l’accompagnement de deux étudiants en Master 1 comme tuteur. Sur le papier, cela fait beaucoup mais au final ces projets qui se nourrissent les uns les autres m’ont amené à améliorer et reconfigurer ma façon d’enseigner. La mise en projet des élèves autour d’une pédagogie active et coopérative s’est peaufinée et je vois le chemin qu’il me reste encore à parcourir.
REMISE EN QUESTION
Alors que j’avance et m’affirme dans une pratique qui me correspond, pourquoi irais-je foutre en l’air tous mes cours ? Quel intérêt à rebooter le cartable ? Au fil du temps, je m’aperçois que j’ai d’abord dû désapprendre avant d’enseigner comme je l’entends aujourd’hui. Mes premiers cours étaient inconsciemment calqués sur ceux que j’avais eus et, sans rejeter en bloc cet héritage, il m’a fallu sortir d’un moule pour aller vers un enseignement plus vivant. Les premières années d’enseignement, on accepte plus facilement de recommencer à zéro la construction d’une séquence. La remise en question des cours est presque quotidienne, on s’interroge beaucoup. Repenser ses cours s’accompagne rapidement d’une meilleure gestion de la classe et d’une transmission plus réussie. Une fois le socle bâti, on apporte des retouches comme je le disais précédemment et là, c’est plus les changements de programmes ou la volonté personnelle d’aborder de nouvelles approches qui conduisent à un renouvellement plus profond. La mise en place des nouveaux programmes au collège s’est faite d’un seul tenant, obligeant les enseignants à mettre à jour leurs cours pour tous les niveaux (j’en ai 3) en une année. J’ai eu beau anticiper ces nouveaux programmes en adaptant des séquences un an en avance pour les 6e, je me suis retrouvé à un moment avec un patchwork d’anciens cours et de nouveaux où la progressivité des apprentissages sur l’année n’a pas été pensée au mieux. Mon enseignement est cohérent mais j’ai l’impression de bricoler et de pouvoir être plus efficace pour accompagner au plus près les élèves. Avec l’arrivée du numérique en classe, le travail par compétences et la réflexion sur l’aménagement de la classe, j’ai fait évoluer nombre d’activités mais, par manque de temps, je n’ai pas construit tout l’outillage que j’ai en tête : des fiches méthode ou compétences plastifiées pour faciliter la compréhension des consignes en classe et mieux organiser le travail de groupe, par exemple.
TOUTE LATITUDE
Aujourd’hui, je sais que je veux une classe vivante où les apprentissages s’accompagnent d’une liberté de mouvement des élèves et d’une utilisation raisonnée du numérique au service d’une pédagogie active et coopérative. Mais changer de mode de fonctionnement en classe nécessite de faire évoluer ses séances : je l’ai fait, mais partiellement. C’est pour ça que je voudrais bien jeter mes cours et repartir avec cette philosophie de travail. Prendre le temps avec des collègues motivés de bâtir un espace et une approche qui fassent des élèves acteurs, partageurs, curieux et libres. Avec une progressivité des apprentissages plus claire, des dispositifs pédagogiques où les élèves se sentent vraiment à l’aise.
Là sur la plage, je me dis aussi que le jour où je jetterai tous mes cours, il me faudra bien du courage. Je regarde mon fils qui s’apprête à se lancer à l’eau et pense à « Toute latitude », une chanson du dernier Dominique A.
« Nous avions toute latitude et toute la vie
aucun engagement d’aucune sorte
et pour seule devise ‘Peu importe’
mais depuis,
mais depuis… »
Un refrain qui sonne comme un avertissement. La latitude d’aller aujourd’hui au bout de mes idées, je l’ai, encore faut-il trouver l’énergie de transformer cet idéal en quotidien.
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