On n’a jamais autant parlé de la féministe Marguerite Durand (et c’est tant mieux)
La bibliothèque Marguerite-Durand, spécialisée dans l’histoire des femmes, doit déménager et le projet inquiète. Un collectif de sauvegarde appelait au rassemblement. Nous y étions.
Sur un bout de trottoir du 13e arrondissement de Paris, entre la sortie de métro et la bibliothèque Jean-Pierre-Melville, ce samedi après-midi, on a chanté l’hymne des femmes.
Plusieurs centaines de personnes avaient répondu à l’appel du collectif Sauvons la bibliothèque Marguerite-Durand pour apporter leur soutien à cet établissement spécialisé dans l’histoire des femmes et le genre, et qui doit déménager en 2018 de Jean-Pierre-Melville pour intégrer la Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP), dans le 4e.
Nous vous avions raconté en août les interrogations suscitées par le premier projet de relocalisation de cette bibliothèque unique en France : manque de place pour les fonds et pour les usagers, perte d’autonomie… A terme, craignaient syndicats et féministes, c’est un lieu de ressources essentiel sur l’histoire des femmes qui risquerait d’être relégué dans un coin.
« Un impact démultiplié »
« Pas hystériques, historique », « je suis Marguerite », « on touche le fonds », lit-on sur les pancartes. Plusieurs ont été fabriquées et distribuées par le collectif Sauvons la BMD, co-animé par l’historienne Christine Bard, de l’association Archives du féminisme.
Mégaphone défaillant en main, elle s’adresse à la foule, en majorité des femmes :
« C’est la première manifestation en France pour défendre un lieu de mémoire, un lieu de ressources consacré au féminisme ! »
L’historienne Michelle Perrot, figure du mouvement féministe, prend la suite et abonde :
« Déménager la bibliothèque ? Pourquoi pas. Mais cette proposition de la mairie de Paris ne nous semble pas convenir. Pour cette bibliothèque, qui a un intérêt national, il faut un lieu autonome, vaste, qui permette de conserver et d’accroître les collections. »
« Si la bibliothèque n’a plus pignon sur rue, l’impact sera démultiplié : les personnes qui viennent ici sont aussi des personnes qui produisent des livres, des articles, des recherches », s’inquiète Dominique, un des sept bibliothécaires de l’établissement. Tous sont en grève. Il poursuit :
« Nous devons pouvoir continuer d’acheter des documents rares, des archives, des livres, et de recevoir les archives qui nous sont données. »
Les femmes « invisibilisées »
Dans la foule, composée de militants féministes, de syndicalistes, de bibliothécaires, d’étudiants, de journalistes et d’usagers, toutes et tous se réjouissent de l’affluence. Entre deux chansons (l’hymne des femmes et « Marguerite, si tu savais »), nous discutons avec Claire, bibliothécaire retraitée, qui a consacré une partie de sa vie à des recherches sur le sexisme dans les sciences humaines.
Elle fréquentait déjà la bibliothèque lorsqu’elle était installée dans le 5e arrondissement de Paris (de 1931 à 1989). Elle est venue ici avec une amie, chacune a sa pancarte. Claire :
« C’est un lieu très important, il n’y en a pas d’autres de comme ça. Une de mes amies australiennes a écrit sa thèse de philosophie ici, c’était un lieu essentiel pour elle. »
Thésards, sociologues, historiens, auteurs et journalistes constituent en effet le gros des usagers de l’établissement spécialisé, qui viennent y chercher des ressources uniques et parfois très rares.
Quelques mètres plus loin, deux amies, Béline et Mila, 15 ans. Cette dernière est remontée : « Une fois de plus, on veut invisibiliser les femmes et leur histoire. On voulait défendre ce lieu car c’est peut-être un endroit où on aura envie de venir plus tard », nous dit-elle. L’adolescente a découvert le mouvement pour la sauvegarde de Marguerite-Durand… sur Instagram.
Des avancées pour la bibliothèque
Collectif, pétition en ligne, articles de presse, podcast… On n’aura jamais autant parlé de Marguerite Durand, cette journaliste féministe, fondatrice en 1897 d’un journal uniquement fabriqué par des femmes, « La Fronde ». Et c’est tant mieux, nous dit Dominique, le bibliothécaire :
« La mobilisation paye. La Mairie a notamment reculé sur la dispersion des fonds qui était envisagée un temps. »
Le projet de départ : installer la bibliothèque dans la BHVP et une partie de ses fonds dans un entrepôt, où ils ne seraient accessibles qu’après une demande et sous deux jours.
Il n’est plus question de cela, assure la Ville de Paris, qui a rencontré plusieurs fois le Collectif BMD :
« Nous sommes aujourd’hui en mesure de garantir que l’intégralité des collections de la BMD sera conservée et accessible à la Galerie des bibliothèques, rue Mahler. »
Les locaux réservés à la bibliothèque Marguerite-Durand, bureaux compris, devraient se retrouver agrandis de « 45% », assure aussi la Mairie, calculs à l’appui. Quant à l’espace réservé aux événements et à l’accueil du public, il sera effectivement partagé avec la BHVP. Mais l’autonomie financière de la BMD sera conservée.
Sur le bout de trottoir, devant la bibliothèque Melville, on lance des marguerites en papier, on se salue entre militantes, on prend en photo les jolies pancartes, un chant s’élève contre le patriarcat, on accroche à sa veste des badges à l’effigie de Marguerite Durand. Aidée par le collectif de sauvegarde, la BMD semble avoir réussi à faire d’elle une icône féministe transgénérationnelle.
Plus tard, les participants seront invités à entrer dans la bibliothèque pour une opération d’inscriptions massive. Dans la foule, une femme appelle : « Les lecteurs, avec nous ! ». Elle est rapidement corrigée : « Les lectrices ! »
Agathe Ranc
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