J’ai voyagé dans le « 93 » et ça n’a rien à voir avec l’idée que l’on peut s’en faire
Par Wael Sghaier , Voyageur
La Seine-Saint-Denis, peu de gens y ont mis les pieds un jour mais pourtant tout le monde a une idée bien précise de ce que ce territoire est supposé être. Quand on évoque le « 93 », les mots délinquance, insécurité, trafic, cités, danger suivent en général très rapidement…
Tout n’est pas rose, effectivement, en Seine-Saint-Denis. Loin de moi l’idée de minorer les problèmes ou de faire preuve du moindre angélisme. Mais il y a ici, comme dans tout lieu d’ailleurs, plusieurs réalités et non une seule. La Seine-Saint-Denis ne se limitant pas à ce que l’on peut en voir à la télévision, à travers la vision étriquée de certains médias, j’ai donc décidé de sillonner ce territoire pendant un peu plus d’un mois pour mieux le connaître et mettre à mal certains clichés.
Le dépaysement peut se faire au bout de sa rue
Ce n’était pas la première fois que je tentais un tel voyage. Il y a deux ans, je m’y suis déjà baladé pendant 4 mois et demi dans le but d’écrire un blog de voyage avec de l’audio et des portraits. Cette année, j’ai ressenti le besoin d’approfondir encore ce sujet et d’en faire cette fois-ci un documentaire, un peu à la manière de « J’irai dormir chez vous ». Je me suis donc acoquiné avec un petit producteur du cru dans le but d’en faire un produit 100% local.
En juillet, sac sur le dos, caméra au poing, j’ai parcouru ce département en long et en large. Mon périple a commencé à Saint-Denis, et il s’est achevé à Sevran. Entre les deux, j’ai posé un pied dans chacune des 40 communes que compte le « 93 ». Le soir, je logeais chez l’habitant. Je me suis efforcé de me laisser aller à le plus d’improvisation possible.
La Seine-Saint-Denis ne m’était pas totalement inconnue avant ce voyage. J’ai grandi à Aulnay-Sous-Boiset j’y travaille encore, mon père y a été prof d’histoire-géographie pendant 35 ans, ma petite sœur y est toujours scolarisée, la plupart de mes amis d’enfance y vivent. Je me suis pourtant rendu compte que, comme beaucoup, je n’avais une vision que très parcellaire de ce territoire.
Ce voyage était aussi un moyen d’honorer une nouvelle forme de pérégrination, montrer que le dépaysement peut se faire au bout de sa rue. Mais aussi de rendre fier l’habitant de la Seine-Saint-Denis comme un Breton peut être fier de sa Bretagne, ou un Alsacien de son Alsace.
J’ai rencontré une France qui se lève tôt
Que retenir de ce voyage ? D’abord que la Seine-Saint-Denis constitue un véritable territoire de culture, doté d’un patrimoine architectural extrêmement riche. Du Palacio d’Abraxas à Noisy-le-Grand, un immeuble de logements étonnants qui a servi de décor à « Hunger Games », au quartier de la Maladrerie à Aubervilliers, une utopie architecturale classée, on a face à nous toute une facette de l’histoire du XXe siècle.
J’ai constaté aussi que la Seine-Saint-Denis ne pouvait se réduire à ses cités de béton. Je garde ainsi en mémoire une soirée passée à Neuilly-sur-Marne, dans un camping au bord de l’eau, avec un beau coucher de soleil. Deux amis m’avaient rejoint pour l’occasion. Deux passionnés de pêche bondynois qui m’ont fait sentir pendant un moment dans un épisode de l’émission « Chasse et pêche » de TF1. Ou encore cette rencontre avec l’association Clinamen, tournée vers l’agriculture urbaine, qui dispose d’un troupeau de moutons.
Qui aurait pu croire que de telles scènes étaient possibles dans le « 93 » ?
Wael Sghaier au Parc de la Courneuve avec Stéphane Troussel et l’association Clinamen (W. SGHAIER).
Que retenir d’autre ? Que les Dionysiens ne constituent pas tous une menace pour la France, évidemment. Au fil de mon voyage, j’ai rencontré des profils loin des stéréotypes habituels, allant de l’étudiant en astrophysique à l’ingénieur du son, en passant par des musiciens, des restaurateurs étoilés… J’ai rencontré une France qui se lève tôt, qui n’a pas grand-chose mais qui ne rechigne pas à accueillir pour autant.
Mais j’ai aussi rencontré des habitants fatigués de l’image négative qu’il leur est renvoyée en permanence, qui préfèrent le plus souvent manier l’ironie pour se protéger de ce regard stigmatisant que l’on porte sur eux. J’ai rencontré des habitants que la présence d’une caméra rendait tout de suite extrêmement méfiants tant celle-ci est mise souvent au service de la caricature. Je prenais donc beaucoup de temps avant de me mettre à filmer pour gagner la confiance des habitants et ne pas juste consommer le territoire, comme le ferait un touriste lambda.
Propos recueillis par Sébastien Billard
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