Comment remédier au pessimisme français
« REGARD ». Les Français jugent le présent sombre, et l’avenir plus noir encore, observe le commissaire général de France Stratégie. Selon lui, il faut restaurer la confiance dans nos institutions. Et définir une nouvelle « grammaire de la vie en commun ».
La France est l’un des pays d’Europe où les inégalités ont le moins augmenté, mais un de ceux où les tensions entre riches et pauvres sont les plus vives. Elle compte 14% de pauvres contre 22% en Espagne, mais nos compatriotes redoutent davantage la pauvreté que les Espagnols. La peur du déclassement est omniprésente, et pourtant les trajectoires sociales ascendantes demeurent nettement plus nombreuses que les trajectoires descendantes.
La France des départements s’alarme de sa prospérité perdue, cependant les inégalités territoriales de revenu sont bien plus marquées chez nos voisins. A peine un jeune sur quatre juge son avenir prometteur, alors que nous sommes l’un des pays où le niveau d’éducation des jeunes a le plus progressé. Sept personnes sur dix jugent qu’il y a trop d’immigrés, mais l’immense majorité de ces derniers se sentent français.
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Pourquoi ce hiatus ? Que révèle cet écart systématique entre perceptions et statistiques ? N’avons-nous pas assez à faire avec les défis bien réels qu’il nous faut affronter, pour ne pas nous représenter une situation pire qu’elle ne l’est ? Ou bien est-ce plutôt que les chiffres échouent à traduire la réalité ? La réponse à ces questions, c’est l’analyse du fonctionnement de nos institutions économiques, politiques et sociales qui la fournit : si les Français jugent le présent si sombre, et anticipent un avenir plus noir encore, c’est qu’ils ont perdu confiance dans ces institutions.
Restaurer la confiance
Entreprise, service public, école, assurances sociales, Etat régalien, démocratie représentative : chacune de ces institutions structure notre vie collective, modèle les destins individuels, organise la solidarité. Toutes sont aujourd’hui à la peine, parfois en échec. C’est le doute sur la capacité de ces institutions à remplir leur mission et à garantir l’équité entre citoyens qui explique l’extrême pessimisme qui nous a saisis.
« Objectivement, ça va mieux. Ce qui ne veut pas dire que ça va bien »
Il importe d’en prendre conscience à l’heure où les Français disent redouter, pour les dix ans à venir, un accroissement des tensions religieuses, politiques et sociales : contrairement à la formule de Michel Rocard à propos du malaise des banlieues, la priorité ne peut être seulement de « réparer les ascenseurs ». Il le faut bien sûr, et la liste des actions à conduire est longue. Mais restaurer la confiance dans nos institutions demandera autre chose que l’invention de nouveaux dispositifs ou la recherche d’une croissance plus robuste.
Redéfinir le contrat social
Le jugement des Français sur la politique est aujourd’hui particulièrement sévère. Mais les attentes à son égard demeurent légitimement considérables. Autant que de solutions, et plus que de postures, c’est d’une nouvelle grammaire de la vie en commun qu’ils sont en attente. Cela passe, bien sûr, par la clarté des règles, la précision des missions assignées aux institutions et la reddition des comptes. Mais plus encore, peut-être, par la redéfinition du contrat social.
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Quel contrat faut-il à une société plus diverse, plus individualiste, mieux formée, mais aussi plus soucieuse de cohésion et plus partagée entre gagnants et perdants de la modernité ? Ces questions tourmentent toutes les sociétés avancées. Le Royaume-Uni vient d’opérer un virage brutal dont on commence à réaliser qu’il ne concerne pas seulement sa relation avec l’Union européenne.
De la construction d’une société d’individus à la refondation du pacte républicain, en passant par un renforcement des liens de proximité, plusieurs modèles s’offrent à nous (1). Ce choix mérite délibération.
Jean Pisani-Ferry
(1) Présentés dans le rapport de France Stratégie « Lignes de faille, une société à réunifier ».
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