Le père d’Emilie, harcelée au collège : « Brisons l’omerta »
Les parents d’Emilie, qui a mis fin à ses jours, ont décidé de publier son journal intime rapportant le harcèlement dont elle a été victime au collège. Son père revient sur leur démarche. Rencontre.
Le père d’Emilie n’a pas beaucoup dormi, parle d’un « déferlement » qu’il n’avait pas anticipé. Le témoignage de sa fille, de sa souffrance quotidienne au collège privé Notre-Dame-de-la-Paix de Lille où elle a été victime de harcèlement scolaire, a rapidement fait le tour du web. En décidant de publier des extraits de son journal intime relatant son calvaire, les parents de la jeune fille, qui s’est suicidée trois ans plus tard à l’âge de 17 ans, ne pensaient pas qu’il serait si lu, qu’il toucherait autant. Ceux qui accusent l’établissement scolaire de n’avoir rien fait pour la protéger malgré leurs alertes souhaitent avant tout « briser l’omerta », comme l’explique Ian, le père d’Emilie. « L’Obs » l’a rencontré.
Emilie s’est suicidée à 17 ans, ses parents publient son journal intime
Que pensez-vous aujourd’hui de la publication du journal de votre fille ?
– On parle du harcèlement scolaire. Notre principal objectif est donc déjà atteint. Si la presse ne nous avait pas contactés (« La Voix du Nord » a publié un article mardi, NDLR), nous ne l’aurions pas fait. Nous n’aurions pas même publié la photo de notre fille. Nous redoutions le côté un peu « voyeur ». Nous ne voulions pas non plus transformer Emilie en martyr du harcèlement scolaire. Nous nous apercevons finalement que ce journal parle vraiment aux gens, explique parfaitement le phénomène.
– Mon ex-femme m’a fait remarquer que lorsqu’on en parle aux parents, ils s’imaginent immédiatement dans la position de parents de victimes potentielles, et non d’harceleurs ou agresseurs potentiels. Et se contentent, bien souvent, de la satisfaction de savoir que leur enfant n’est pas victime. Sans aller plus loin. C’est un problème.
J’ai moi-même été victime de harcèlement à l’adolescence avant de protéger ceux que je voyais victimes, et j’ai toujours éduqué mes enfants dans le respect des autres.
Je pense aussi qu’on croit davantage trouver des problèmes de harcèlement dans les établissements en ZEP (zone d’éducation prioritaire) ou en banlieue, moins dans les établissements privés, où l’on s’imagine que cela n’arrivera pas.
Pour tenter de mieux lutter contre le harcèlement scolaire, le nouveau directeur du collège dit avoir mis en place de nouvelles « commissions » avec des « élèves médiateurs ».
– Quand, après avoir retiré Emilie du collège après une crise de panique un matin avant de partir au collège, nous sommes allés voir le directeur, il nous a dit, en somme : « c’est regrettable mais on ne peut rien faire ».
Nous ne pouvons donc que saluer cette initiative, on fait quelque chose et c’est également ce que nous pouvions espérer de notre démarche. Mais je n’en sais pas plus sur ces commissions. Est-ce fait de manière réaliste ? Sinon cela ne servira à rien, si ce n’est à dire qu’on fait quelque chose…
Les personnels éducatifs, professeurs et surveillants devraient-ils être davantage sensibilisés au problème ?
– Il est évidemment « normal » que de petits actes de violence surviennent au collège : une bousculade, une insulte… Mais si le même élève en est toujours victime, il faut réagir rapidement.
Il est difficile, toutefois, de se rendre compte de l’effet cumulatif de ces petits actes de cruauté répétés.
Il peut être compliqué, en effet, de prendre conscience, quand on est témoin d’un de ses actes, qu’il a déjà eu lieu 5 minutes plus tôt, ou va se répéter 5 minutes plus tard, jusqu’à 50 fois dans la même journée pendant des semaines.
Quelle est aujourd’hui, selon vous, la priorité ?
– Communiquer. Réfléchir. Il n’y a pas de recette miracle. Le problème est collectif. Mais si les parents parviennent à envisager que leurs enfants peuvent aussi être des agresseurs potentiels, que les surveillants et les professeurs sont davantage conscients de l’ampleur du problème et de ses conséquences, ce sera déjà un pas. Si le même élève se retrouve plusieurs fois avec un chewing-gum dans les cheveux ou n’a subitement plus ses livres pour travailler, on peut s’interroger.
Il faut se dire, aussi, que l’élève la plus brillante de la classe, jolie et qui ne pose aucun problème à l’équipe éducative, peut elle aussi être victime. Emilie se réfugiait dans le travail. Elle avait de très bonnes notes. C’est ce qu’on nous répétaient ses professeurs quand on abordait avec eux ses problèmes.
Comment avez-vous réagi en découvrant, après son décès, le journal de votre fille ?
– Je n’avais honnêtement pas vraiment pris conscience à quel point cela avait été un calvaire pour elle. Nous nous sommes rendus compte progressivement, avant cela, que ses problèmes devenaient un peu trop fréquents. Elle avait du mal à expliquer certaines choses. Quand on lui a coupé les bretelles de son cartable, par exemple. Ou quand on lui a pris ses livres de cours. On le signalait. On nous disait « ce sont des choses qui arrivent ».
Vous avez ensuite décidé de publier ce journal intime.
– J’ai pensé qu’Emilie aurait souhaité qu’on utilise ses écrits et son histoire pour aider les autres. S’ils peuvent contribuer au fait que certains parents, surveillants et professeurs soient un peu plus vigilants, leur publication n’aura pas été vaine. Ils peuvent aussi éventuellement amener des élèves à réfléchir. Les collégiens sont de jeunes adolescents, encore enfants, qui ne se rendent pas compte, quelquefois, de la gravité de leurs actes.
Ces écrits peuvent peut-être aussi aider des victimes à se sentir moins seules et à comprendre qu’elles ne sont pas « nulles », que ce n’est pas de leur faute, qu’on peut être différent et intéressant. Voire plus intéressant, même si la différence effraie.
Qu’attendez-vous de la plainte que vous avez déposée contre le collège ?
– On ne recherche pas la notoriété, pas plus que le fait de punir qui ce soit. Je ne cherche pas à dire que le collège est l’unique responsable de tout cela, mais à dire que ce que ma fille y a vécu est détestable et qu’elle n’aurait pas dû le vivre.
Tout comme aucun élève ne devrait vivre cela dans aucun établissement scolaire. Il est évident que si Emilie ne s’était pas suicidée on n’aurait pas porté plainte. Pourquoi ? Parce que, comme la plupart des parents dans ce genre de situation, on essaie de construire un avenir à son enfant plutôt que de remuer de douloureux souvenirs. Mais je crois néanmoins que même si Emilie n’avait pas mis fin à ses jours, il aurait été intéressant de montrer son journal. Il illustre un problème collectif. Parlons-en. Brisons l’omerta.
Propos recueillis par Céline Rastello
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