Pierre Assouline : « Michel Butor a toujours été franc-tireur »
Il était le dernier des représentants du Nouveau Roman. Son influence allait bien au-delà du courant littéraire dont il était l’une des figures de proue.
PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME BÉGLÉ

Écrivain et essayiste, Pierre Assouline a dirigé pendant 11 ans le mensuel Lire et pris en main récemment Le Magazine littéraire. Élu en 2012 à l’académie Goncourt, il est l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature française de l’après-guerre. Il publie cette semaine unDictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature. En toute subjectivité, il y glisse les livres, les auteurs, ses analyses, ses portraits, ses anecdotes, ses humeurs et ses coups de cœur pour former un ouvrage qui est le reflet de sa passion pour la littérature et ceux qui la font. Michel Butor (contrairement à Michel Houellebecq par exemple) ne jouit pas d’une entrée dédiée, au contraire du Nouveau Roman dont Assouline décortique la naissance, l’éclosion et l’influence puis l’extinction.
Le Point.fr : Michel Butor était-il un pilier ou un électron libre du Nouveau Roman ?
Pierre Assouline : Ils étaient tous des électrons libres. Le Nouveau Roman était un mouvement fabriqué de manière artificielle. Dès qu’il a été consacré, ses membres n’ont eu de cesse de vouloir s’en détacher. Il est né en 1960 d’une photo de Mario Dondero rassemblant Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute, Claude Olier, Samuel Beckett, Robert Pinget, Claude Mauriac et leur éditeur Jérôme Lindon posant contre le mur d’un ancien bordel de la rue Bernard-Palissy devenu le siège des éditions de Minuit. Robbe-Grillet a eu le génie de s’emparer de cette « famille d’esprit » pour la théoriser dans son essai Pour un Nouveau Roman et de populariser cela aux États-Unis. Une fois que ceci fut fait chacun n’eut de cesse d’en prendre ses distances à l’image de Duras, de Sarraute et de Butor, déjà auréolé par le succès de La Modification, primé en 1957 par le prix Renaudot. Michel Butor a toujours été franc-tireur.
Des auteurs contemporains se revendiquent-ils encore aujourd’hui du Nouveau Roman ?
Aux États-Unis, et particulièrement sur la côte Est, grâce à Tom Bishop et à Alain Robbe-Grillet qui enseigna durant 30 ans la littérature, le Nouveau Roman conserve sa vivacité et son actualité. Mais en France, je ne connais pas un auteur jeune ou moins jeune qui se revendique du Nouveau Roman. En revanche, beaucoup excipent de l’influence de tel ou tel écrivain de cette famille. Duras a considérablement influencé des romancières comme Chrstine Angot. Je me souviens d’un débat avec Jean Rouaud à Haïfa au cours duquel il avait rendu un hommage appuyé à Nathalie Sarraute à qui il doit tout. Michel Butor est également cité comme une référence. Il va de soi que Beckett fut un phare. Jean Echenoz ne s’en cache pas et bon nombre d’écrivains ont voulu publier chez Minuit pour partager la même couverture que lui. Le plus important d’entre eux en termes d’influence reste Claude Simon très souvent situé comme référence par les écrivains français. Les lecteurs du Magazine littéraire nous demandent sans cesse de consacrer un dossier à Claude Simon, ce que nous finirons par faire d’ailleurs.
J’ai eu l’occasion de dîner avec Michel Butor plus d’une fois. C’était un homme charmant, modeste, ouvert, s’intéressant aux autres. Paix à son âme!