Si vous n’avez pas entendu parler de Pokémon Go, c’est que vous vivez sûrement sur une autre planète ou bien que votre lieu de villégiature est coupé d’Internet et de tout moyen de communication. Pokémon Go, c’est ce jeu vidéo qui provoque des cohues à New York , pousse ses adeptes à marcher des dizaines de kilomètres en un week-end ou à louer des kayaks pour rejoindre une arène postée au large…Nintendo vient de sortir cette application magique qui fait apparaître les petites créatures japonaises un peu partout dans les rues ou dans des lieux plus exotiques grâce à la réalité augmentée. Le but : les capturer avec son smartphone ou plutôt sa pocketball. Sa sortie a été retardée en France en raison de l’attentat de Nice, mais le jeu est déjà un phénomène (les Français y jouent en se connectant au serveur des autres pays, une manipulation assez simple) , qui effraie même la gendarmerie nationale ! Pourquoi sommes-nous accros à ces Pokémon ? Tentative d’explication avec deux psychologues.
Notre rêve d’enfant est à portée de main
La génération des trentenaires a découvert les Pokémon dans les cours de récré. Souvenez-vous de ce travail de longue haleine – qui demandait parfois plusieurs heures de récréation – pour qu’enfin notre copain troque son Bulbizarre contre notre Dracaufeu ! Et la fébrilité avec laquelle on déchirait les paquets de cartes pour découvrir si oui ou non s’y trouvait le Voltali qui manquait à notre collection… Pokémon Go a ravivé la nostalgie chez tous ceux qui ont aimé ces petites bébêtes japonaises. « Pokémon Go, c’est reprendre le jeu de notre enfance, explique le psychologue Yann Leroux. Ceux qui ont trente ans ont rêvé de capturer ces créatures et de s’en rendre maîtres. Avec ce jeu vidéo, le rêve est à portée de main. »
Les Pokémon, la madeleine de Proust des 25-30 ans. © Nitendo
Collectionner des Pikachu nous donne l’impression de diriger notre vie
Une carte Pokémon à collectionner. © Nitendo
Contrôler ses émotions, son temps, son poids, ses relations… Dans un monde que l’on qualifie de plus en plus souvent d’instable, la maîtrise est une attitude qui rassure. Et figurez-vous que Pokémon Go n’exprime rien d’autre que notre désir de maîtrise. « Les gens qui ont des collections accumulent les choses, les rangent, les organisent, c’est intéressant, car cela nous donne l’impression de diriger notre vie. On est jeté dans le chaos du monde et le contrôle est une source de plaisir », poursuit le psychologue, auteur du blog Psy & Geek . On ne peut pas maîtriser toute notre vie. En revanche, on peut faire ce que l’on veut de ces créatures. « On met la main dessus, on les fait grandir, on les abandonne. Vous êtes maître d’un Pikachu et, un jour, vous jugez qu’il n’est plus digne d’intérêt, vous l’abandonnez. On ne peut pas avoir la maîtrise totale de son partenaire par exemple. Par contre, il est possible d’obtenir toute la gamme des Pokémon… » C’est en effet bien moins sorcier qu’une relation amoureuse !
C’est la même joie d’aller chasser les Pokémon que de découvrir une charogne
Un peu de psychologie de l’évolution ? Dans l’histoire de l’humanité, nous avons passé beaucoup, beaucoup de temps au stade du chasseur-cueilleur. Pour rappel, la chasse, la pêche et la cueillette ont été les premiers modes de subsistance de l’espèce humaine qui prélevait les ressources de survie directement dans la nature… Dans Pokémon Go, la cueillette du Pikachu n’est rien d’autre qu’un divertissement, mais le jeu fait écho à cet instinct ancré en nous depuis les sociétés du paléolithique.
L’homme est par nature un chasseur et prend beaucoup de plaisir à traquer les Pokémon… © Nitendo
« À l’époque, il en dépendait de la survie de l’espèce », précise Yann Leroux. « Le fait de collectionner s’enracine d’ailleurs dans cette compétence de chasseur. Pour l’homme, c’est la même joie d’aller chasser les Pokémon que de découvrir une charogne. Aujourd’hui, la chasse est un instinct humain qui n’est pas si enfoui que ça. Les choses anciennes ne sont pas dépassées mais intégrées dans de nouvelles conduites qui sont très complexes. »
On a besoin de se retrouver ensemble
Le côté extrêmement social du jeu est évidemment important. Avec Pokémon Go, on « rejoint la communauté vibrante des aventures vécues », estime Yann Leroux. Chacun peut imaginer le plaisir de son voisin à attraper un Pokémon rare ou à chasser ensemble une créature. » Pokémon est un jeu profondément communautaire qui satisfait la nature sociale de l’homme. « On a besoin des uns et des autres parce qu’on est seul dans notre société, même si la surcommunication est permanente avec les réseaux », explique Vanessa Lalo, psychologue spécialiste des usages numériques. « C’est une communication superficielle. Nous manquons de rencontres humaines. Surtout après les attentats, on a besoin de se retrouver ensemble. Pokémon Go est un bon prétexte pour organiser des rencontres régulières. Mais est-ce vraiment passer du temps ensemble que d’avoir le nez rivé à son téléphone sans jamais se regarder ? » Le numérique est décidément bien schizophrène.
Des objectifs au quotidien à un moment où on est paumé
Pokémon Go, c’est aussi un parcours initiatique, un apprentissage. Il faut sortir de chez soi et atteindre des objectifs, voire dépasser ses limites. « L’humain manque parfois de buts », explique Vanessa Lalo, « mais le plus intéressant, c’est le chemin que l’on emprunte, tous les efforts que l’on va développer (louer un kayak, faire du sport, marcher des kilomètres). » Selon des témoignages sur les réseaux sociaux, le jeu permettrait à certains d’affronter la dépression, la solitude, ou tout simplement de combattre leur nature timide. On se retrouve comme le petit héros de Pokémon qui, dans le dessin animé, quitte sa mère et son foyer pour partir à l’aventure.
« Dans le jeu, chacun dispose d’une ressource d’énergie puissante (le Pokémon) et travaille à maîtriser cette puissance pour vivre dans une société digne. C’est ce que fait Sacha en quittant sa maison pour devenir dresseur. Tout le monde peut partager cet idéal. » Même si l’arrivée imminente de Pokémon Go en France donne des sueurs froides à la gendarmerie nationale, le jeu semble faire, pour l’instant, plus de bien que de mal, estime Vanessa Lalo. « Ça reste du divertissement, mais ça nous donne du plaisir et des objectifs au quotidien à un moment où on est paumé et où on a besoin de se raccrocher à une valeur qui est celle du vivre ensemble. »
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