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Actualités > O > Mode & beauté > Gucci Gang : comment ces 4 ados parisiennes bouleversent la mode

Repérées sur Instagram pour leur style, ces quatre ados parisiennes affolent les internautes et les marques. Symbole d’une jeunesse qui a appris à contrôler et à monétiser son image, le Gucci Gang s’amuse de son propre succès. Ca fait quoi d’avoir un agent à 15 ans ?

Texte : Clotilde Alfsen
Photographie : Louis Canadas

  Publié le 05/06/2016

Elles ont entre 14 et 16 ans, une jolie frimousse et un style hors pair. Annabelle, Angelina, Crystal, Thaïs sont copines depuis plus de deux ans, traînent dans l’Est parisien et ont déjà un surnom : leGucci Gang. Rien à voir, assurent-elles, avec la célèbre firme italienne : « C’est l’adresse mail de la mère d’une élève de notre classe, Guccibella, qui nous a donné l’idée« , explique Angelina, élève au lycée Voltaire dans le 11e. Mais, depuis, à la faveur de l’arrivée d’Alessandro Michele à la direction artistique de la marque, « Gucci est redevenu cool« , glisse Thaïs, élève en arts appliqués au lycée Maximilien-Vox, dans le 6e. Et de toute façon,

on a toujours kiffé porter les casquettes Gucci à l’ancienne

précise Crystal, élève du collège privé Saint Jean Gabriel. Elles ne sont pas les seules. Leurs comptes Instagram, où on les voit frimer et poser comme le font des milliers d’autres ados, totalisent – et c’est là une différence de taille – près de 35.000 abonnés et ne cessent d’accumuler de nouveaux followers. Autre surprise, le Gucci Gang dispose d’un… agent. Olivier Lafrontière, de l’agence WM Models, a d’abord repéré sur Instagram Angelina Woreth, insolente brune d’1m70, avant de « rencontrer tous les parents du gang lors d’une réunion » et d’être choisi pour présider à la destinée médiatique de ce girls band 2.0. Et depuis quelques mois, les demandes explosent.

Angelina, 15 ans

Un seuil a été atteint en mars dernier, quand Angelina a fait la une du mensuel L’Officiel avec trois autres mannequins « underaged ». Elle y est la seule française de ce quatuor de new faces. La fille d’Éric Woreth, réalisateur de Ça ne se refuse pas, avec Julie Gayet et Jean-Marc Barr, s’est donc retrouvée entre Lottie Moss (la nièce de Kate Moss, 55.000 abonnés sur Instagram), Thylane Blondeau (la fille de l’ex-footballeur Patrick Blondeau, 250.000 abonnés), et Anaïs Gallagher (fille de Noel Gallagher, l’ex-guitariste d’Oasis, 71.000 abonnés).

Depuis, i-D les a photographiées toutes ensemble, habillées en Gucci bien sûr, et elles ont été interviewées par Clique.tv, le site de Mouloud Achour.

Elles ont leur petite entreprise et les marques viennent vers elles parce qu’elles ont déjà une forme de célébrité digitale

analyse leur agent, Olivier Lafrontière. Leurs comptes Instagram sentent bon la sortie du lycée, le tabac et le café. Quand on les rencontre dans un bar du 11e arrondissement, elles arrivent l’une après l’autre et se font la bise, avec juste un sourire en coin, déjà habituées aux regards des journalistes. Crystal porte un grand sac Nike et Thais un sac Avnier, la marque du rappeur Orelsan. « Faudra qu’on fasse une photo, il m’a envoyé des fringues« , annonce-t-elle au clan. « On met que des photos de ce qu’on aime« , assure Angelina, leadeuse naturelle du groupe. Les derniers modèles d’iPhone sont d’ailleurs tous posés sur la table du café, en permanence éclairés par une notification. Crystal est la seule à n’avoir qu’un iPod : « Ma mère ne veut pas que j’aie un smartphone, elle dit que je suis trop jeune », soupire-t-elle. Ce qui n’empêche en rien la collégienne de 14 ans de filmer toute la vie du groupe, avec une caméra ou son iPod, pour poster sur Snapchat « quand il y a du wi-fi ». En voyant leur fille ainsi sollicitée, sa mère, qui travaille dans une boîte de production musicale, et son père, saxophoniste, sont un peu inquiets, mais restent encourageants.

Annabelle, 15 ans

 La beauté de la glande

Si ces quatre filles ont grandi avec les écrans et les réseaux sociaux, elles doivent leur succès naissant à la bonne idée d’avoir réinvesti legirls band en voie de disparition à l’ère du selfie. Alors qu’Instagram est le temple de l’individualité, leur « crew » semble solidaire et indissoluble. Frédéric Godart, sociologue de la mode, confirme : « Le phénomène est innovant parce qu’il va à l’encontre de la culture Instagram ». Dans la rue et en soirée, elles sont désormais « les meufs d’Insta ». Quand on les reconnaît, ça leur fait bizarre. Elles affirment ne pas bien comprendre l’engouement qu’elles suscitent. En souriant, Annabelle, lycéenne à Maurice-Ravel dans le 20e, lâche :

On fait rien et ça marche.

Ça rappelle La Piscine, non pas le film de Jacques Deray, mais celui du défilé automne-hiver 2013-2014 de Jacquemus, « Un documentaire sur la glande ». Pendant cinq minutes, on y voit cinq mannequins traîner en plaisantant devant une piscine

Des habitantes du quartier sont interrogées :

On ne sait pas très bien ce qu’elles font et ce qu’elles vont faire, mais elles ont la beauté et l’insolence de leur jeunesse.

Pour Alexandre Silberstein, réalisateur d’un habile documentaire-entretien de 30 minutes produit par 1stant.fr sur le Gucci Gang, « elles sont une incarnation parfaite de leur génération, qui émerge d’une époque longtemps branchée à la téléréalité et qui décide de contrôler ce qu’elle veut montrer de sa vie. »

 

Follement digital natives, elles savent très bien que les marques et les médias les observent attentivement pour cibler cette jeunesse qui se lasse en un clic. À charge, pour elles, d’inventer leur style, un « mix and match » de sapes Emmaüs et de pièces haute-couture de papa ou de maman. Avec, toujours, des sneakers aux pieds, parce que les années 1990-2000 font leur grand retour. Les parents peuvent à nouveau s’indigner des pantalons baggies, slips qui dépassent et autres perles de ces années pas si lointaines. Dans leur playlist : Skepta, le rappeur anglais, MHD le rappeur français du nord de Paris, ou les chanteurs yé-yé de l’époque de leurs grands-parents. Ensemble, elles se moquent de Kylie Jenner qui « vient de se mettre à Supreme » mais respectent la famille Kardashian dans son ensemble parce que ce sont des « business women exemplaires ». Elles scrutent en continu ce qui se passe virtuellement dans le monde de la mode, et snobent les tutos Youtube : « elles sont mal habillées ». Un narcissisme de groupe qui reste entretenu par le nombre de vues et de commentaires : « Tu es magnifique sur ce shoot », lance l’une, tandis que l’autre rétorque : « T’as vu le commentaire du type ? Il a dit que t’étais super mignonne ».  Rires.

Leur transgression : aimer Booba

Les marques qu’elles rêvent de porter – Jacquemus, Vêtements, Comme des Garçons, et Gucci bien sûr –, et avec lesquelles elles adoreraient travailler, ne sont pas encore celles dont elles reçoivent quelques cadeaux. En attendant, « il faut savoir bien copier, et ajuster à ta morphologie », explique Thaïs, fille du réalisateur Cédric Klapisch. Malgré son ADN, ce n’est pas elle qui a le plus d’abonnés sur Instagram. Ce qui légitime à ses yeux leur succès : « Je n’ai jamais utilisé les contacts de mes parents », assure-t-elle. Crystal bondit : « On n’a jamais rien demandé à personne et ça n’arrivera jamais ».

Thaïs, 15 ans

Il n’empêche, à la mi-mai on pouvait retrouver Thais au Festival de Cannes, accompagnant son père, habillée en Chanel, puis en Courrèges, avec sa copine Angelina. Car leurs parents portent un regard plutôt bienveillant sur leur aventure médiatique. « Ils sont contents pour elles et je suis en contact permanent avec eux », affirme Olivier Lafrontière, qui ajoute : « elles savent très bien que leurs parents peuvent couper court aux shootings si elles ont une mauvaise note ou un comportement qui ne leur plaît pas. » Bonnes élèves et disciplinées, les filles du Gucci Gang incarnent une « vision de la jeunesse telle que rêvée par leurs parents », explique Éric Briones, coauteur du livre La génération Y et le luxe (Dunod).  Il lance : « Leur seule transgression, c’est d’aimer Booba. » On est loin, très loin de la célébration d’un mode de vie rock and roll, mais bien dans la mise en scène d’un art de vivre sagement fun – et follement stylé.

On est face à une représentation de la jeunesse complètement contrôlée, aseptisée, et esthétisée

assène le sociologue Frédéric Godart.

Crystal, 14 ans

Il s’agit avant tout de quatre jeunes filles de la génération Y, et c’est précisément cela qui intéresse les marques qui les scrutent et leur envoient des habits. Elles dédaignent la fast fashion, rêvent de pièces iconiques et de robes de grandes marques. Ce qui constitue une main tendue idéale vers le monde du luxe, qui souffre, selon Éric Briones, d’une « peur permanente d’être en déconnexion complète avec la génération Y ». Une génération qui s’informe sur les réseaux sociaux, qui s’exhibe et se construit une identité médiatisée de plus en plus tôt. Et surtout une génération ciblée de futurs consommateurs. « Ces jeunes filles ouvrent une fenêtre rassurante sur la jeunesse », ajoute Frédéric Godart. Les marques de luxe seraient-elles en retard dans le monde digital ? « Il faut voir le snapchat de Gucci, justement, glisse le réalisateur Jean du Sartel. Le luxe essaie de se calquer sur la façon dont les ados appréhendent l’époque ». Et c’est ce qu’a repéré WM Models. « C’est vrai que d’autres instagrameuses ont plus de followers, mais c’est un peu le rapport Carrefour/Dior, la quantité contre la qualité », explique leur agent, Olivier Lafrontière. Les quatre filles sont, elles, parfaitement conscientes de leur rôle : « Le monde de la modes’intéresse à nous parce qu’on est les prochains acheteurs et qu’on incarne quelque chose de notre génération. » C’est Thaïs qui le lance, et c’est le groupe entier qui en rit. Annabelle ajoute en haussant les épaules :

Le jour où notre notoriété disparaît, on sera toujours copines et la vie continuera.

En attendant, elles vont pique-niquer au bois de Vincennes.

Clotilde Alfsen