Une pétition dénonce « l’excès de testostérone » des programmes de littérature.
Parité oblige, les femmes sont partout (ou presque…). On en trouve même sur les bancs de l’Assemblée Nationale, pour dire. Mais dans les programmes de français de l’Education nationale, aucune. Pour les terminales de la série littéraire, l’épreuve de français se résume par: Eluard en 2015, Sophocle et Flaubert en 2016, et l’on vient d’apprendre que l’élu pour 2017 n’est autre que Gide, auteur de cette belle maxime: «Les femmes n’ont rien à dire, mais tout à raconter.»
Un esprit gidien hanterait-il les couloirs du Ministère de l’Education? A en croire la liste des auteur(e)s figurant au programme du bac littéraire, il sévit depuis quelques années déjà, puisque jamais, aucune femme, ni même George Sand qui pourtant avait pris un nom d’homme pour écrire, n’a jamais figuré sur la sacro-sainte liste de la transmission du savoir littéraire français.
Heureusement, une femme, Françoise Cahen, professeur de lettres au lycée Maximilien-Perret d’Alfortville (Val-de-Marne), s’est emparée du problème. Il y a trois semaines, dans le flot des pétitions change.org, anti-Loi travail, pro-savon de Marseille et contre la fête du canard, apparue celle qui a désormais recueillie plus de 2000 signatures, la pétition «pour donner leur place aux femmes dans les programmes de littérature au bac L».
Françoise Cahen dénonce cet «excès de testostérone» qui sévit dans les programmes au bac littéraire. Ironiquement, les filles sont les plus présentes dans les classes L, et les profs de lettres sont majoritairement des femmes. Alors cette prof de français se demande «quel message subliminal veut-on faire passer?»
Si les profs doivent obéir aux lois fondamentales de l’Education Nationale pour leurs classes de terminale, ils restent libres de choisir qui bon leur semble pour étudier la poésie du XIXe siècle, le théâtre classique ou le roman contemporain. On a donc demandé à Maxime, en 1ère S au Lycée Jean-Paul II de Rouen, quels auteurs il a étudiés pour son oral de français cette année. «Beaumarchais, Baudelaire, Ronsard, Apollinaire», nous dit-il. Mais alors, pas de femmes ? «Non, aucune femme auteure, mais par contre on a étudié « les Bonnes » de Genet et la fable sur la laitière de La Fontaine.» Aïe.
Les Editions des femmes-Antoinette Fouque, qui publient en majeur partie des auteures, y voient là un «incroyable conservatisme. Une reproduction pure et simple des images les plus éculées dans les œuvres étudiées: absence d’héroïnes positives, violence des représentations, femmes minorées, possédées, objets de désir et de pouvoir.»
“Des femmes”, ces irréductibles qui luttent contre la dictature du phallus
Françoise Cahen n’est pas la première à dénoncer cet aveuglement envers les femmes de lettres. Il y a deux ans, une étudiante en philo lançait la pétition «Donnez une place aux femmes dans les programmes scolaires». Et surtout, nulle autre que Virginia Woolf dans «Une chambre à soi» en 1929 se penchait sur la question:
«L’indifférence du monde que Keats et Flaubert et d’autres hommes de génie ont trouvée dure à supporter était, lorsqu’il s’agissait de femmes, non pas de l’indifférence, mais de l’hostilité. Le monde ne leur disait pas ce qu’il disait aux hommes: écrivez si vous le voulez, je m’en moque…Le monde leur disait avec un éclat de rire: Ecrire ? Pourquoi écririez-vous ?»
Woolf au programme pour 2018 ? Françoise Cahen ne veut pas instaurer une parité dans les textes étudiés, mais simplement voir apparaître quelques auteurs féminins. Pour Michèle Idels des Editions des femmes, c’est «une question de justesse et de justice, mais aussi d’éducation. Quels que soient les engagements des écrivaines, elles développent dans leur écriture une vision des femmes forcément différente de celle qu’ont les hommes. Les filles et les jeunes femmes doivent pouvoir retrouver quelque chose qui fait écho à leur propre expérience et à leurs désirs. Pour exister, elles ont besoin de connaître les ‘’grandes femmes du passé’ au lieu de devoir s’identifier à ce qu’on appelle ‘’les grands hommes.’’»
L’entourage de Najat Vallaud-Belkacem a répondu au «Parisien» que la ministre « prend le sujet au sérieux. Le ministère veut des femmes, dans les manuels, dans les programmes, dans les sujets d’examen.» Oui, parce que si les générations à venir auront sans doute oublier l’œuvre «Réforme du Collège» de la ministre, on espère bien qu’ils sauront ce qu’est «la Mare au diable» de Sand, «le Deuxième sexe» de Beauvoir, «le Barrage contre le Pacifique» de Duras, «Mrs Dalloway» de Woolf, «la Cité des Dames» de Pisan et, quand même, «la Princesse de Clèves» de Lafayette.
Simone de Beauvoir, la scandaleuse
Si l’Education nationale manque d’idées, les Editions des Femmes Antoinette Fouque proposent de les aider, avec une liste (non exhaustive) d’auteures à inscrire aux futurs programmes du bac. La voici (vos suggestions sont les bienvenues en commentaire):
Moyen-âge
Marie de France («Si ses « Lais » sont connus, son recueil de fables l’est bien moins. Pourtant, réalisé à la façon d’Esope, il constitue la première version française des fables, dont certaines ont été reprises par La Fontaine»), Christine de Pisan («C’est la première écrivaine française à vivre uniquement de sa plume. Dans ses textes, elle critique la misogynie dont son sexe fait l’objet. Elle a même rédigé un traité d’art militaire»)…
XVIIème siècle
Madame de Lafayette, Madame de Sévigné, Marie de Nemours, Ninon de Lenclos…
XVIIIème siècle
Madame du Chatelet, Germaine de Staël, Elisabeth Vigée Lebrun, Isabelle de Charrière, Olympes de Gouges…
XIXème siècle
Delphine de Gigardin, Rachilde, Sophie Ségur, Jane Austen, George Sand («Négligée après sa mort – c’est grâce à Proust et à Flaubert qu’elle n’a pas été oubliée»)…
XXe siècle
Colette, «dont l’œuvre a été injustement simplifiée», Selma Lagerlöf (première femme lauréate du Nobel de littérature en 1909), Pearl Buck, Toni Morrison, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, les sœurs Brontë, Anaïs Nin, Emilie Dickinson, «figure fondatrice de la poésie américaine», Virginia Woolf, Doris Lessing, Clarice Lispector, Hélène Cixous, François Sagan, Simone de Beauvoir, Albertine Sarrazin, Maya Angelou («dont le texte « Je sais pourquoi l’oiseau chante en cage » est le plus lu et étudié aux Etats-Unis»)…
Contemporaines
Annie Ernaux, Maylis de Kerangal, Scholastique Mukasonga, Joy Sorman, Christa Wolf, Marie NDiaye, Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2015), Lydie Salvayre, Joan Didion…
Virginie Cresci
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