A partir de la rentrée, manuels et enseignants devront mieux prendre en compte la réforme de l’Académie française votée en… 1990.
Page d’écriture : alors, nénufar ou nénuphar ? Comme vous voulez ! (Gile Michel – Sipa
« Bien installé sur un nénufar, le millepatte passe son weekend à interpeler les autostoppeurs. Ce risquetout joue les marioles et s’entraine à faire disparaitre des ognons avec son révolver, malgré un cout élevé pour le portemonnaie. » Alors, combien de fautes avez-vous repéré dans ce court texte ? Un instituteur du siècle dernier en aurait dénombré pas moins de 13. A partir de la rentrée de septembre, il devra se résoudre à n’en trouver aucune.
Votée par l’Académie française en 1990, la réforme de l’orthographe qui concerne quelque 2.400 mots va finalement s’appliquer à partir de la rentrée prochaine. « Mais ce n’est pas une nouveauté », sourit Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale au dictionnaire Le Robert, « c’était déjà dans les textes du ministère de l’Education nationale. Simplement, c’était en note en bas de page, en tout petit. Mais c’était dedans. »
Alors, un quart de siècle, c’est le temps de l’acceptation ? A entendre ses voisins de bureau, rien n’est moins sûr : « La disparition du circonflexe, je ne suis pas d’accord du tout ! », tempête Laura.
C’est une coquetterie. Les gens aiment bien le fait qu’ils ont eu du mal à l’apprendre, donc il faut que les générations suivantes l’apprennent aussi », lui répond la lexicographe.
Toucher à l’orthographe, en France, c’est un peu comme toucher à la Constitution : « En 1990, c’était la guerre du Golfe. Tout le monde s’écharpait, même ceux qui n’y connaissaient rien », se souvient Marie-Hélène Drivaud. Et il semble que ce ne soit pas fini.
Même si beaucoup ont du mal à accepter cette évolution, les deux orthographes, la traditionnelle et la nouvelle, sont bel et bien tolérées depuis 1990.
Et c’est important de le dire dans le cadre scolaire : ni l’une ni l’autre ne peuvent être tenues pour fautives. »
Les vieux dinosaures peuvent continuer à écrire nénuphar ou oignon comme ils les souhaitent, les jeunes, eux, vont apprendre l’orthographe simplifiée, sans aucun problème selon la lexicographe qui rappelle que des mots très traditionnels ont déjà deux orthographes comme la clé qui peut encore s’écrire clef.
Que va devenir le nénuphar de Boris Vian ?
Les éditeurs de manuels scolaires peuvent se frotter les mains : ils vont devoir écrire plus gros. Mais que vont-ils décider lorsqu’ils citeront « L’Ecume des jours » de Boris Vian ? Vont-ils évoquer le nénufar qui croît dans les poumons de Chloé ? Oui, qui croît, avec un circonflexe et non pas qui croit. En revanche, lorsqu’on écrira croitra, le circonflexe va disparaitre ou disparaître.
La simplification a finalement ses limites. L’Académie juge l’accent circonflexe d’une utilité « restreinte » sur le i ou le u, sauf si… Sauf s’il apporte une distinction de sens utile, comme lorsqu’il permet de distinguer la conjugaison de croître et de croire.
Marie-Hélène Drivaud bondit lorsqu’on lui parle du nénufar dans le texte de Boris Vian :
Parce que vous vous imaginez que vous lisez Voltaire ou Rousseau comme ils l’ont écrit ? L’évolution de l’orthographe touche même les classiques. De plus, nénufar, c’est un mot qui vient de l’arabe. Le ‘ph’ étant grec, il n’avait rien à faire là-dedans. »
La lexicographe rappelle que l’orthographe actuelle vient en grande partie de la réforme de l’Académie de la fin du 18e siècle et que tout ce qui était antérieur a été revu :
C’est illusoire de penser que c’est gravé dans le marbre et qu’on n’a jamais touché à tout ça. L’orthographe était beaucoup plus souple et dynamique. Ça s’est bloqué au 19esiècle. Depuis, la situation est compliquée. »
Tendance à la soudure comme pour le millepatte, à la francisation comme pour le révolver, la réforme épouse une tendance naturelle de la langue. « Ça fait bien longtemps que le mot cafétéria n’a plus de trace de son origine étrangère. Il est parfaitement intégré », rappelle la spécialiste. Introduit dès 1993 dans Le Robert, le mot plateforme était ainsi très rarement soudé, ce qui est beaucoup plus fréquent maintenant.
Même les programmes en oublient en route
Compliqué au point que, un quart de siècle plus tard, la réforme de 1990 n’est toujours pas entrée dans les mœurs. « Les programmes de la réforme du collège et du cycle trois sont annoncés comme étant une nouvelle orthographe mais on voit bien qu’ils ont énormément de mal car ils en oublient énormément en route », s’amuse Marie-Hélène Drivaud qui pointe le verbe maîtriser qui revient très souvent dans les programmes où il garde son accent circonflexe.
L’accent circonflexe, une passion française.
Les gens y sont extrêmement attachés. Lorsqu’il y a eu le débat en 1990, on a vu se monter des associations de défense de l’accent circonflexe. Il y a des choses qu’on fait entrer progressivement dans nos dictionnaires. Sur le circonflexe, nous sommes très prudents car nous savons que c’est un sujet sensible. »
Pour revenir au nénufar qui passionne tant les Français, à Paris, le musée de l’Orangerie n’aura pas à trancher sur la question, Claude Monet ayant peint… des nymphéas. Et, dans son souci de simplification, l’Académie française n’a pas mis les nymphéas dans la liste des 2.400 mots concernés, soit 4% à peine de notre corpus. Le contraire aurait fait s’étrangler les spécialistes de l’orthographe :
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